De nombreux travaux ont déjà montré que les inégalités sociales face à l’épidémie de Covid-19 ont été fortes en France, avec notamment, un surrisque majeur d’hospitalisation pour les personnes aux niveaux de vie les plus bas et celles vivant dans des logements densément peuplés. Mais les conséquences de ces mêmes inégalités sur le devenir des patients une fois hospitalisés et admis en soins critiques pour Covid grave, elles, n’avaient pas jusqu’à présent été analysées. C’est l’objet de cette étude.
Entre le 1er mars 2020 et le 31 décembre 2021, 120 000 patients résidant en France métropolitaine ont été hospitalisés en soins critiques (réanimation, unités de soins intensifs et unités de soins continus) pour Covid-19. Pour mesurer l’effet des inégalités sociales, deux variables disponibles dans le SNDS ont été mobilisées : l’indice de défavorisation sociale de la commune d’habitation du patient (le fait d’habiter dans une zone défavorisée permettant d’approcher le fait d’être soi-même défavorisé) et l’affiliation à la complémentaire santé solidaire (CSS) ou à l’aide médicale d’état (AME).
Plus de comorbidités cardio-vasculaires, pulmonaires et rénales parmi les patients des communes les plus défavorisées
Parmi les personnes hospitalisées en soins critiques pour Covid-19, la prévalence de diabète est supérieure de 37 % pour celles résidant dans les communes les plus défavorisées comparé à celles résidant dans les communes les moins défavorisées. Les prévalences sont supérieures de 25 % pour l’insuffisance rénale chronique, de 22 % pour les pathologies pulmonaires chroniques et de 14 % pour l’hypertension artérielle. En revanche, pour les personnes bénéficiaires de la CSS et de l’AME , la plupart de ces comorbidités sont moins fréquentes : 30 % ont de l’hypertension artérielle contre 35 % chez les patients n’en bénéficiant pas. C’est aussi le cas pour l’insuffisance cardiaque ou l’insuffisance rénale. Cela peut s’expliquer par le profil des bénéficiaires de la CSS ou de l’AME en moyenne dix ans plus jeunes que ceux qui n’en bénéficient pas.
Un risque de ventilation mécanique invasive plus élevé parmi les patients des communes les plus défavorisées
La ventilation mécanique invasive est une technique qui permet de maintenir l’apport en oxygène chez les patients admis en soins critiques en insuffisance respiratoire sévère. Le recours à la ventilation mécanique invasive est plus fréquent parmi les patients résidants dans les communes les plus défavorisées (34 %) par rapport à ceux habitant dans les communes les moins défavorisées (32 %). De même, cette technique est davantage utilisée chez les personnes bénéficiaires de la CSS et de l’AME (36 %) que chez les non bénéficiaires de ces aides (33 %). Même si les écarts en termes de pourcentage semblent faibles, l’écart de risque est nettement plus marqué une fois pris en compte les autres facteurs pouvant influencer ce risque. Ainsi, après prise en compte des différents facteurs pouvant jouer sur le risque de ventilation mécanique invasive (tels que l’âge, le sexe, la présence de maladies chroniques…), le risque de ventilation mécanique invasive est augmenté de 16 % parmi les personnes habitants dans les communes les plus défavorisées par rapport à ceux habitant dans les communes les moins défavorisées.
Un risque de décès plus élevé parmi les patients des communes les plus défavorisées
Le taux de mortalité lors de l’hospitalisation en soins critiques pour Covid-19 est plus important parmi les personnes habitant dans les communes les plus défavorisées (26 %) que parmi celles habitant dans les communes les moins défavorisées (23 %). Parmi les personnes atteintes des formes les plus sévères sur le plan respiratoire, les taux de mortalité s’établissent respectivement à 41 % et 38 % selon le niveau de déprivation de la commune de résidence. Là encore, les écarts sont limités mais ils sont significatifs et sont plus importants une fois pris en compte les autres facteurs de risque : il reste un surrisque de décès de 21 % parmi les personnes résidant dans les communes les plus défavorisées et de 6 % parmi les bénéficiaires de la CSS ou de l’AME.
Une probabilité plus faible de transfert en unités de soins de suite et de réadaptation après les soins critiques chez les bénéficiaires de la CSS ou de l’AME
Parmi les personnes ayant survécu au séjour en soins critiques, un transfert en soins de suite et de réadaptation est parfois nécessaire afin de poursuivre les soins médicaux, mettre en place une rééducation permettant, entre autres choses, de limiter les séquelles et favoriser le retour à domicile. Parmi les bénéficiaires de la CSS ou de l’AME, 18 % ont bénéficié d’un transfert en unités de soins de suite et de réadaptation (SSR), contre 25 % chez les non-bénéficiaires. En revanche, aucune différence notable n’est observée selon l’indicateur de défavorisation sociale : parmi les personnes hospitalisées en soins critiques pour Covid-19 et sorties vivantes d’hospitalisation, 24 % ont été admises en SSR.
La détection d’inégalités sociales jusque dans le parcours des personnes hospitalisées pour Covid grave peut renvoyer à plusieurs types d’explication.
Bien qu’elle ait pu mobiliser dans l’analyse le nombre d’informations médicales pour estimer les risques de complication du Covid-19, l’étude n’a pu tenir compte ni de l’obésité et ni du tabagisme, dont on sait qu’ils touchent davantage les plus défavorisés. Une autre hypothèse serait que les personnes habitant dans les communes les plus défavorisées sont plus exposées au risque de retard de prise en charge, soit du fait d’inégalités géographiques d’accès aux soins, soit du fait d’une moins bonne littératie en santé.
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